Une facture oubliée sur un coin de bureau ne s’efface pas d’un simple coup de chiffon. Pourtant, la loi, elle, prévoit bel et bien que certaines dettes s’évanouissent dans le temps. Entre la nature de la créance, le profil du débiteur et l’agenda strict des délais, naviguer dans le labyrinthe de la prescription demande vigilance et méthode.
Avant de songer au recouvrement, encore faut-il vérifier que la créance réunit les trois conditions clés : elle doit être certaine, liquide et exigible. Or, il arrive que ces critères ne soient pas réunis simultanément. Il n’est pas rare qu’une somme exacte mette du temps à être arrêtée, ou qu’un désaccord repousse l’échéance de paiement. Cela complique la tâche du créancier : le décompte du délai de prescription recule, la procédure se corse et l’initiative devient stratégique.
Comprendre la prescription d’une créance : définition, critères et enjeux
La prescription d’une créance fixe le laps de temps durant lequel le créancier peut agir en justice pour réclamer le paiement d’une dette. Une fois ce délai expiré, il devient impossible d’engager la moindre procédure judiciaire pour récupérer son dû. Ce principe de prescription extinctive offre une ligne d’équilibre : sanctionner l’inaction du créancier pour protéger le débiteur contre l’épée de Damoclès d’une réclamation éternelle.
Ces règles prennent racine dans l’article 2219 du Code civil et se déclinent dans le Code de commerce ou le Code de la consommation selon les cas. Trois conditions sont incontournables : la créance ne doit plus être contestée sur le principe (certaine), le montant est connu (liquide) et la créance est arrivée à échéance (exigible). Le compte à rebours commence à la date d’exigibilité.
Dans la majorité des situations, une créance civile obéit à un délai de 5 ans. Entre professionnel et particulier, ce délai tombe à 2 ans, en application de l’article L218-2 du Code de la consommation. Tous délais interrompus, vingt années constituent la limite supérieure. Si la jurisprudence accorde une part à la souplesse, chaque secteur encadre ses propres règles.
Pour se repérer dans la diversité des situations, voici les principaux délais selon le type de créance :
- Créance salariale : 3 ans (article L3245-1 du Code du travail)
- Créance locative : 3 ans (article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989)
- Créance fiscale : 4 ans (article L169 du Livre des procédures fiscales)
La prescription dépasse largement le formalisme : le créancier doit gérer rigoureusement ses dossiers, archiver tous les justificatifs utiles, contrôler régulièrement l’évolution de ses créances au fil des années. Le laisser-aller sur ce point peut suffire à barrer la route du tribunal.
Quels délais s’appliquent selon la nature de la créance et comment les calculer ?
Impossible de s’y tromper : chaque créance obéit à ses propres règles de prescription. La nature du contrat, le statut des différentes parties et le texte applicable fixent le calendrier. Entre commerçants ou sociétés, la créance commerciale est enfermée dans un délai de 5 ans (article L110-4 du Code de commerce). Il en va de même pour les créances civiles sous l’article 2224 du Code civil.
Dès lors qu’un consommateur figure dans la relation contractuelle, le délai se réduit : on passe à 2 ans pour les dettes impliquant un professionnel et un particulier, conformément à l’article L218-2 du Code de la consommation. Les créances salariales et locatives affichent toutes deux une limite de 3 ans à partir de l’exigibilité du paiement.
Le calcul se fait au fil de l’exigibilité : la date de règlement figurant sur la facture ou dans le contrat marque le point de départ du délai. Un geste du débiteur, un paiement partiel, une reconnaissance de dette, voire une action judiciaire de sa part, peut interrompre la prescription et faire repartir un nouveau délai. Il existe aussi des suspensions : obstacles exceptionnels, majorité non atteinte, arrangement formel entre les parties…
Ce tableau permet d’avoir une vision immédiate des délais usuels :
Type de créance | Délai de prescription | Référence |
---|---|---|
Commerciale | 5 ans | Code de commerce, L110-4 |
Civile | 5 ans | Code civil, 2224 |
Professionnel/Consommateur | 2 ans | Code de la consommation, L218-2 |
Salariale | 3 ans | Code du travail, L3245-1 |
Locative | 3 ans | Loi du 6 juillet 1989, art. 7-1 |
Fiscale | 4 ans | LPF, L169 |
Gérer la prescription suppose sans faillir de conserver chaque pièce utile : factures, contrats originaux, éventuelles reconnaissances de dette. En cas de contestation liée à la consommation, le juge n’hésite pas à vérifier de lui-même la date de prescription. D’où la nécessité d’une attention constante de la part du créancier : chaque échéance mal suivie peut faire basculer une créance dans la catégorie des dossiers irrécouvrables.
Recours et bonnes pratiques en cas de non-paiement ou de prescription imminente
Face à une créance impayée, la première impulsion serait de multiplier les relances. Avant tout, il s’impose de contrôler le délai de prescription : agir une fois ce délai dépassé condamne toute action devant les tribunaux, peu importe la solidité du dossier. Même prescrite, la dette peut exister à l’amiable, mais elle ne s’impose plus par la voie judiciaire. D’où la nécessité de rester méthodique et précis.
Structurer la procédure de recouvrement limite les erreurs et donne toutes ses chances à une issue favorable. Première étape : l’envoi de relances écrites, dûment datées, conserve une trace officielle. Seconde étape : la mise en demeure, adressée en recommandé, détaille le montant, précise l’échéance et rappelle la nature de la demande. Ce courrier a parfois la faculté d’interrompre la prescription. Si aucune solution ne se dessine, l’action en justice doit être lancée sans plus attendre, tant que le délai est respecté.
Pour une gestion efficace, voici les bons réflexes à adopter :
- Formaliser chaque relance par écrit et garder la preuve d’envoi
- Adresser une mise en demeure respectant toutes les mentions requises
- Vérifier scrupuleusement la date d’exigibilité et tout fait susceptible de suspendre ou d’interrompre le délai
- Faire appel à un avocat dès le moindre doute ou lors d’une procédure judiciaire
- Mettre en place un logiciel de suivi pour contrôler en temps réel l’état des créances et leur échéance
Négociation ou contentieux, le choix de la méthode n’est pas neutre : on ne joue pas avec le calendrier devant le juge. La procédure amiable privilégie le dialogue ; la voie judiciaire impose rigueur et connaissance des délais. Si la prescription est incertaine, qu’un désaccord plane sur la somme ou son point de départ, mieux vaut se tourner vers un professionnel du droit. Les tribunaux ont déjà clarifié de multiples situations, mais l’erreur de calcul ferme brutalement les portes de la justice.
Au bout du compte, garder la main sur ses créances revient à tenir son agenda d’une main ferme. Celui qui perd le fil du temps risque de perdre bien plus : dans l’arène des dettes, seule la vigilance permet de ne jamais se retrouver devant une porte close.